Mobilités actives au féminin

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Résumé

Chaque année, le 8 mars est la journée internationale dédiée aux droits des femmes. L’occasion de faire entendre les voix de toutes, d’occuper la place dans les médias. Mais une journée ne suffit pas pour évoquer toutes les thématiques et les enjeux liés à ces droits.** À l’ADMA, on constate que des inégalités quotidiennes d’accès…

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Chaque année, le 8 mars est la journée internationale dédiée aux droits des femmes. L’occasion de faire entendre les voix de toutes, d’occuper la place dans les médias. Mais une journée ne suffit pas pour évoquer toutes les thématiques et les enjeux liés à ces droits. À l’ADMA, on constate que des inégalités quotidiennes d’accès aux mobilités actives persistent, relatées dans notre article 8 mars : et si on parlait de l’accès des femmes aux mobilités actives ?. Pour avancer vers une société plus égalitaire, il existe des leviers à actionner pour réduire les écarts entre les hommes et les femmes. Des leviers que nous développons en sensibilisant différents publics (élu.es, technicien.nes, associations, etc) sur la manière de les mettre en place, via nos formations et ateliers, ou encore nos supports pédagogiques.

Ces derniers temps, d’autres organismes se sont intéressés au sujet, comme l’institut le Forum Vies Mobiles, qui a établi une étude sur la mobilité des femmes traitant des conséquences sur leur mobilité, ou encore le Club des villes et territoires cyclables et marchables (CVTCM) avec son dossier consacré aux Femmes et mobilités actives : le long chemin vers l’égalité qui apporte des solutions et affirme la position et le témoignage de 4 femmes élues, sur une inégalité toujours de mise.

Dans notre équipe, on se réjouit que les femmes dans les mobilités actives prennent la parole et s’engagent, notamment dans des structures comme Femmes en Mouvement ou encore Les Femmes à Vélo. Avant de détailler les réseaux féminins qui se sont développées, on avait à cœur de laisser la parole à Léa, Fannie et Elin formatrices à l’ADMA. Par leurs différents parcours, elles incarnent, loin des clichés, toute la diversité qui fait la richesse d’une culture des mobilités actives au féminin.

Léa Devun

Âge : 29 ans

Parcours professionnel :

Après un master en politiques urbaines à Sciences Po Paris, je me suis orientée vers les mobilités. J’ai eu l’occasion de m’intéresser aux particularités de nombreux modes alternatifs à l’autosolisme : les transports en commun, le covoiturage, l’autopartage et bien sûr la marche et le vélo. J’ai travaillé sur l’articulation entre ces modes, comme sur l’information voyageurs et sur les différentes dimensions de la marche. Je porte une attention toute particulière à l’accessibilité du système de mobilité, ainsi qu’à l’inclusion de tous les publics présentant des besoins particuliers : les enfants, les femmes, les personnes âgées notamment.

La place des femmes dans votre métier :

Les femmes représentent seulement 18,5 % des salarié.es des entreprises de transport et de logistique selon le rapport 2022 de l’Observatoire Prospectif des métiers et des qualifications dans les Transports et la Logistique (p.31) soit moins d’1/5. Depuis mon entrée dans le monde professionnel, j’ai pu constater que le monde des mobilités et du transport est déséquilibré sur les égalités femmes et hommes. Lors de projets en lien avec le développement et l’exploitation des transports en commun, je me suis parfois retrouvée à être la seule femme d’une assemblée d’une dizaine de personnes. Il me semble que le secteur des mobilités actives, et probablement celui du milieu de la formation et celui du conseil, le sont moins. En tout cas, les femmes compétentes ne manquent pas !

Vos pistes pour faire évoluer la place des femmes dans les mobilités :

Certains enjeux structurels et culturels mettront du temps à évoluer (la part de femmes ingénieures et dans les métiers techniques notamment). Nous avons tous et toutes notre rôle à jouer en nous mobilisant dans nos actions quotidiennes pour éduquer les enfants et sensibiliser les adultes à la question des stéréotypes et des inégalités de genre. À mon sens, il est fondamental que les personnes en charge des politiques publiques soient les plus représentatives possible de la société dans son ensemble. Je pense donc qu’une attention particulière doit être portée à la parité à toutes les strates des entreprises et des collectivités, notamment dans les plus élevées.

La formation initiale et continue peut jouer un rôle important pour cela, en incitant les femmes à aller vers les métiers des mobilités. Je crois beaucoup à l’importance de favoriser les « rôles modèles » (avec des professeures, des professionnelles, des proches plus expérimentées) ainsi que le soutien entre pair.es. Le fait d’encourager et de faciliter les rencontres, voire les projets de mentorat, me paraît ainsi important pour aider les femmes à s’organiser entre elles et à s’entraider. En ce sens, l’action des réseaux de professionnel.les comme Femmes en Mouvement ou les associations d’anciens élèves m’apparaît fondamentale.

S’il est nécessaire de favoriser des espaces d’échange et de soutien pour tous et surtout pour toutes, je voudrais souligner que les hommes ont un rôle volontariste à jouer à toutes les étapes : dans le fait de recruter des femmes et de s’assurer qu’elles bénéficient de conditions de travail non-sexistes, dans le fait de s’interroger sur la distribution genrée des missions mais aussi, de manière opérationnelle, dans le fait de se former continuellement et d’intégrer pleinement les enjeux liés au genre dans les politiques de mobilité.

Vélo ou marche : à pied (en intermodalité avec les transports en commun ou non) et à vélo, tous les jours, pour mes trajets quotidiens et de loisir !

Fannie Bélanger-Lemay

Âge : 45 ans

Parcours professionnel :

J’ai passé la plus grande partie de ma vie en Amérique du Nord, où il n’y avait que peu d’autres possibilités de déplacement que l’automobile personnelle. Transports en commun réduits, sauf dans les grandes villes, quasiment pas de transport interurbain, réseau de train démantelé, etc. Ma formation de base n’est pas dans la mobilité, je suis juriste et informaticienne de formation. C’est après des années d’implication militante pour le vélo que je me suis reconvertie en effectuant une maîtrise en philosophie de l’urbanisme, sur les enjeux de justice du partage de l’espace public. J’ai entamé un doctorat sur le même sujet, mais mon travail en parallèle dans l’industrie du cycle puis à l’ADMA ont pris le dessus.

La place des femmes dans votre métier :

Montréal est devenue l’une des villes des plus cyclables au monde, mais ça n’était pas le cas lorsque j’y vivais. J’ai pu y voir l’impact des femmes dans le développement du vélo. L’une des figures de proue du mouvement cycliste citoyen montréalais fut Claire Morissette, coordinatrice de l’association Le Monde à Bicyclette. Une des principales pistes cyclables de la ville porte maintenant son nom. Son livre, Deux roues, un avenir, publié en 1994, a été une des sources d’inspiration pour mon travail de maîtrise en philosophie et pour mes recherches doctorales. Il est encore parfaitement pertinent, malheureusement : la dépendance à l’automobile perdure. Aussi à la tête d’une association, Suzanne Lareau, longtemps PDG de VéloQuébec, a permis la professionnalisation des actions militantes cyclistes. L’impact de ces femmes a été de montrer que la bicyclette, comme mode de déplacement, s’adresse à toute personne : grâce à leur présence à des postes de responsabilité, elles ont eu la légitimité pour montrer que le vélo, ce n’est pas qu’un sport pour hommes en lycra.

Vos pistes pour faire évoluer la place des femmes dans les mobilités :

Comment poursuivre sur cette lancée ? Historiquement, il y a toujours eu des « contrecoups » contre les avancées des droits des femmes après un changement. Pour éviter de faire ce pas en arrière dans le monde de la mobilité active, il faudra de la vigilance et des appuis… masculins ! Les hommes ont en effet un rôle actif à jouer pour reconnaître les compétences et l’expertise des femmes, comme les personnes ayant des privilèges doivent le faire pour celles vivant des discriminations.

Vélo ou marche : cela fait 43 ans que je fais du vélo et bientôt 30 ans que j’utilise le vélo comme principal mode de transport au quotidien et pour mes vacances, et maintenant, comme principal mode pour me déplacer avec un enfant en bas âge. Cette expérience au quotidien m’a amenée à m’impliquer dans les associations cyclistes pour, très égoïstement, améliorer mes propres conditions de déplacement et, moins égoïstement, pour aider plus de personnes à pouvoir faire le même choix, libérateur face à l’automobile.

Elin Lundmark

Âge : 29 ans

Parcours professionnel :

J’ai effectué des études d’ingénieur en génie civil avec un master dans la mobilité et le transport à l’université de Lund en Suède, mon pays d’origine. Ce choix répondait à mes envies d’avoir un diplôme dans le secteur du développement durable, comportant une approche humaine qui impacte la vie de tous les jours. Et aussi qui me permettait de travailler à l’étranger.
Avant de rejoindre l’équipe de l’ADMA, j’ai travaillé sur les mobilités actives au sein d’un bureau de paysagistes, en Suède, et avec des architectes et urbanistes dans un bureau d’urbaniste, en France. Cette approche transversale m’a toujours intéressé pour avoir une réflexion plus globale sur les déplacements et l’utilisation de l’espace public. Les piétons et les cyclistes ont besoin d’itinéraires continus, lisibles et attractifs. Ce qui demande une collaboration entre différents corps de métiers et services. Malheureusement ils sont souvent organisés en silos et découpés entre différentes responsabilités.

La place des femmes dans votre métier :

Les hommes sont surreprésentés dans le secteur du transport en Europe. Cependant j’ai l’impression que l’on considère de plus en plus l’importance d’une représentation plus paritaire entre hommes et femmes, dans la construction de la politique et de la planification du système de transport. Ce manque de représentation s’exprime par exemple dans l’offre de transport, principalement adapté aux trajets individuels, en heure de pointe. Ils sont majoritairement adaptés pour le déplacement des hommes, qui réalisent en plus grande mesure des trajets plus longs, pendulaires entre leur domicile et leur lieu de travail (Rambol, « GENDER AND (SMART) MOBILITY », 2021). L’offre de transport répond rarement aux schémas de déplacements des femmes, qui réalisent en général des trajets plus nombreux, et de plus courte distance et en journée (à Barcelone les femmes se déplacent principalement entre 11h-14h et 16h-20h, et les hommes de 17h-20h). Ses trajets sont plus , souvent liés aux tâches domestiques (courses) ou à l’accompagnement, vu que c’est majoritairement les femmes qui prennent soin des enfants et des personnes dépendantes (notamment des personnes âgées mais aussi par exemple des personnes en situation de handicap) à la fois dans leur vie personnelle et dans leur vie professionnelle.

De ce constat, il est primordial d’augmenter la présence des femmes dans la construction, gestion et prise de décision de projet de mobilité, pour augmenter la pris en compte des femmes dans l’offre de mobilité. Dans plusieurs villes comme Malmö, Paris, Barcelone et Vienne, le genre a été inclus dans les sujets liés à l’urbanisme. J’espère que le constat que des villes construites par les hommes, sont majoritairement construites aussi pour les hommes, va encourager plus de femmes à s’orienter vers des métiers dans les domaines d’activité cités.

Vos pistes pour faire évoluer la place des femmes dans les mobilités :

Pour réellement faire évoluer la place des femmes dans les mobilités actives, aussi bien dans des projets que dans la politique publique, il faut développer une meilleure compréhension des spécificités au niveau de la pratique, et des besoins des femmes dans l’espace public. Cela peut s’effectuer via une récolte de données quantitatives, en développant des enquêtes et observations de l’utilisation de l’espace public. Pour compléter avec des données qualitatives, des méthodes de concertation, autres que des réunions publiques, doivent être mises en place, pour faciliter la prise de parole des femmes, par exemple avec des balades exploratoires, cartes sensibles (représentation des émotions, des ressentis, des perceptions, en utilisant le principe classique de la carte) et des entretiens.

Autre piste, c’est la construction de projets d’espace public avec des femmes, pour les femmes. La ville de Malmö, lors de la création d’un nouvel espace public, a donné la responsabilité du diagnostic, conception et évaluation à un groupe d’adolescentes habitant dans le quartier concerné. Cette responsabilité avait pour objectif de répondre le plus réalistement possible aux besoins des femmes. Également, l’Atelier d’urbanisme Approche.s ! a intégré des femmes dans la construction de solutions pour améliorer le sentiment de sécurité des itinéraires piétons à Aubervilliers. Cette action permet de créer un accès égalitaire à la marche urbaine, de jour comme de nuit.

Évidemment, il existe une diversité d’autres actions à mettre en place ; budget sensible aux genres, comme cela a été fait à Vienne, développement des stratégies pour l’égalité de genre dans l’aménagement urbain, déjà développé par la ville de Paris et la ville de Lyon.

Vélo ou marche : les deux, et pour une fois ce n’est pas un héritage de la neutralité suédoise. Les deux ont des avantages et inconvénients et mon choix se fait selon différents critères : la distance, l’heure de la journée, la météo, l’environnement du trajet, le sentiment de sécurité, si je me déplace seule ou pas, ce que je vais faire après et le temps disponible, etc.

Soirée de présentation du Manifeste de l’association des Femmes à vélo à Rennes le 8 mars 2023

Des réseaux pour favoriser des espaces d’échanges entre toutes et tous

S’il existe plusieurs solutions pour faire avancer la place des femmes dans les mobilités actives, comme l’évoquent Fannie, Elin et Léa dans leurs témoignages, on note l’importance du partage et de échange, et pas seulement entre femmes ! Ces réseaux dédies aux modes actifs regroupent des femmes aux parcours différents, pour échanger de manière bienveillante, sur leurs parcours et projets professionnels, partager leurs difficultés et questionnements sur leur (future) vie de salariée, s’entraider, s’encourager, etc. Des objectifs qui ont leur importance pour faire valoir la place des femmes dans le secteur des mobilités, comme le vélo, ce défend le collectif Femmes à vélo qui a présenté son Manifeste le 8 mars 2023 à Rennes, la veille du Congrès de la FUB (Fédération des Usagers de la Bicyclette). Cette première action de l’association a pour objectif de pousser à l’engagement les structures publiques et privées pour mettre en place des actions en faveur des femmes.

Pour agir pour toutes les modes de transports, le réseau Femmes en Mouvement connecte les femmes dans la mobilité et promeut la mobilité des femmes depuis 2015, à la suite du constat de l’absence des femmes à la tribune des conférences liées à la mobilité et aux transports. Pour ce faire, le réseau organise des événements et donnent la parole à des femmes dans tous les métiers du secteur. Également, il se mobilise pour influencer les politiques de mobilité.

Des femmes qui se mobilisent, il y en a aussi dans le projet Elles font du vélo, un média qui soutient le vélo au féminin. Initié par Muriel Vandermeulen, le webzine alimenté par plusieurs contributeurs.trices est devenu une communauté qui organise et participe à plusieurs événements pour faire valoir les femmes dans le vélo, qu’il soit sportif, de voyage ou du quotidien.

Les espaces d’échange, on peut aussi les trouver ailleurs que via des réseaux communautaires ou professionnels, comme à l’atelier de Ponyo café vélo à Villeurbanne crée par 3 femmes, Lauréline Herreye, Eve et Zoé Coston, un lieu accueillant, inclusif et ouvert à tous.tes. Fort du constat que le milieu de la mécanique vélo est majoritairement masculin, elles souhaitaient développer un lieu permettant de dédramatiser l’usage du vélo et de la mécanique, empouvoirer les usager.es grâce à l’autonomie, l’indépendance et la liberté de savoir réparer et entretenir soi-même son moyen de locomotion, sans risque d’action sexiste. Elles organisent également des événements et des sorties vélos.

En plus du développement de lieux d’échanges inclusif, Audrey Landon et Mathilde Groazil Cabo sont allées plus loin en créant une école d’orientation, de formation et d’insertion des femmes dans l’économie du vélo : Les roues Libres. Grâce à cette école, elles souhaitent lever les freins des femmes et faire du vélo une expérience émancipatrice et transformatrice, afin qu’elles participent pleinement à la structuration de la filière métier du vélo.

Connecter les femmes dans le monde entier

Au-delà des réseaux présents en France, l’Initiative pour la mobilité urbaine transformatrice (TUMI) a lancé en 2018 le réseau « Women Mobilize Women » afin de mettre en avant les femmes et prendre en compte leurs besoins dans les transports, pour créer une mobilité plus diversifiée. Il organise de nombreuses conférences et webinars, pour connecter les femmes dans le monde entier. La place des femmes dans les mobilités actives est donc un enjeu international.

Auteur : l’équipe ADMA

Crédits photos : Les femmes à vélo

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