Les déplacements à pied ou à vélo ont chacun des spécificités en matière de vitesse comme de trajectoire, ce qui rend délicate leur cohabitation, relève Camille Gaumont, experte en mobilités actives à l’ADMA. Dans une tribune publiée dans le Monde, elle appelle à élargir l’espace urbain attribué à ces usager.ères.
Les tensions entre cyclistes et piéton.nes auraient-elles remplacé dans les débats les conflits entre cyclistes et automobilistes ?
Le contexte de croissance de l’usage du vélo et le développement de politiques publiques en faveur de la marche font ressurgir les enjeux de cohabitation, entre les déplacements à pied et à vélo. Selon le rapport du baromètre des villes cyclables de 2021 43% des cyclistes estiment que les conflits avec les piétons sont fréquents(baromètre réalisé par la Fédération des Usagers de la Bicyclette). Du côté des piéton.nes, la cohabitation avec les cyclistes ou utilisateur.rices de trottinettes est également citée comme une préoccupation dans le cadre du baromètre des villes marchables de 2021 (baromètre réalisé par le collectif Place aux Piétons). Pourtant, si ces conflits doivent être pris en compte par les pouvoirs publics, il ne s’agit pas de remettre en cause la légitimité de politiques ambitieuses en faveur du vélo et de la marche.
Un taux d’accidentalité bas entre ces 2 modes actifs
Pour prendre du recul sur les conflits entre piéton.nes et cyclistes, un premier constat s’impose : les accidents mortels entre ces usager.ères restent très rares. Selon le rapport de l’observatoire faisant le bilan de la sécurité routière en 2021 en agglomération :
- 3 piéton.nes sont décédé.es dans un accident avec un.e cycliste
- 2 suite à une collision avec un.e usager.ère d’engin de déplacement personnel motorisé
- 264 piéton.nes où les véhicules motorisés personnels, utilitaires ainsi que les poids lourds étaient impliqués
Cependant, l’analyse des accidents mortels ne suffit pas pour appréhender la complexité des situations qui peuvent générer des tensions entre les usager.ères. Une étude de 2020 sur un campus universitaire à Vancouver où cyclistes et piéton.es partagent l’espace public montre que, si les accidents avec blessures entre ces usager.ères sont rares et font l’objet de peu de signalements, les tensions sont fréquentes et impactent l’expérience de mobilité. Il est donc nécessaire de s’intéresser aux enjeux de perception de la sécurité par les usagers et non seulement aux accidents recensés pour appréhender les particularités des conflits entre piétons et cyclistes.
Un dénominateur commun pour des usages spécifiques
Le vélo et la marche ont progressivement été regroupés dans des catégories communes : « modes non motorisés », « modes doux » et aujourd’hui « modes actifs ». Or, les déplacements à pied ou à vélo ont chacun des spécificités en termes de vitesse comme de trajectoire, rendant délicate la cohabitation sur des espaces partagés comme les rues piétonnes, les abords des gares ou des itinéraires de loisirs.
Avec l’augmentation actuelle de l’usage du vélo (+31% en ville entre 2019 et 2021 selon la plateforme nationale des fréquentations suivie par l’association Vélo et Territoires) ainsi que des engins de déplacement personnels motorisés (comme les trottinettes électriques), la pression sur les espaces partagés devient de plus en plus forte. De plus, en l’absence d’espaces considérés comme sûrs, les cyclistes (notamment les plus sensibles au trafic motorisé) sont plus susceptibles d’emprunter des espaces normalement réservés à la marche, créant ainsi un sentiment d’inconfort ou d’insécurité, notamment pour les piéton.nes les plus fragiles. Pourtant, la marche est un mode déplacement qui doit rester accessible à tous et toutes et qui répond le mieux aux enjeux d’inclusion, de cadre de vie, de santé, de sobriété énergétique…
Vers un partage de l’espace public plus favorable aux modes actifs ?
Le sentiment de concurrence accrue entre piéton.nes et cyclistes met en réalité en lumière le caractère (depuis longtemps contraint) des espaces dédiés à ces usager.ères. Selon un article publié dans le Monde par Les Décodeurs en 2016 à Paris la moitié de l’espace public était dédié à l’automobile, alors que celle-ci représentait seulement 13% des déplacements. La prépondérance du trafic et du stationnement motorisé reste ainsi la principale contrainte pour les piéton.nes comme pour les cyclistes.
Les choix d’aménagement de l’espace public sont donc un des principaux leviers d’action pour traiter les conflits entre piéton.nes et cyclistes. Redonner de la place aux piéton.nes et aux cyclistes en apaisant le trafic motorisé est une condition indispensable pour que le développement du vélo ne se fasse pas au détriment de la marche. À titre d’exemple, après avoir adopté en 2016 un plan de circulation supprimant le trafic de transit à l’intérieur de son « Ring », la Ville de Louvain en Belgique a vu la part de déplacements à vélo dans le centre augmenter de 32% en un an, tout en rendant les espaces plus agréables pour les piéton.nes. Quelques rues ont été interdites aux cyclistes, ce choix ayant été justifié par la présence d’itinéraires alternatifs sécurisés, confortables et continus ainsi que par la maturité de la pratique cyclable.
Cet exemple montre la possibilité de porter des politiques de mobilité, favorisant conjointement les déplacements à pied et à vélo, en agissant sur la redistribution de l’espace en leur faveur.
Ce type d’approche permet d’éviter de faire porter la responsabilité des conflits uniquement sur des comportements individuels en prenant du recul sur l’origine des tensions.
Auteure : Camille Gaumont
Crédits photos : Febiyan, Francois-Xavier Chamoulaud, ADMA