(Analyse) Repenser nos déplacements et notre vocabulaire, quelle utilité ?

Accueil > Actualités > (Analyse) Repenser nos déplacements et notre vocabulaire, quelle utilité ?

Résumé

Dans la suite de la découverte des nuisances liés à la démocratisation de la voiture individuelle dans les années 1970, des nouveaux termes apparaissent les décennies suivantes. L’objectif de cet enrichissement du champ lexical de la mobilité est de pouvoir qualifier l’ensemble des solutions à développer pour repenser nos déplacements, et ainsi réduire la dépendance…

– Temps de lecture :
3 min
Thématiques :

Dans la suite de la découverte des nuisances liées à la démocratisation de la voiture individuelle dans les années 1970, des nouveaux termes apparaissent les décennies suivantes. L’objectif de cet enrichissement du champ lexical de la mobilité est de pouvoir qualifier l’ensemble des solutions à développer pour repenser nos déplacements, et ainsi réduire la dépendance de l’automobile.

Cependant, ces nouveaux termes sont-ils bien utilisés dans l’environnement de la mobilité ? N’a-t-on pas un risque de perdre l’usager parmi son champ lexical, qui est de plus en plus étoffé ?

Ecomobilité, mobilité durable, modes doux, modes actifs ou mobilités actives sont des termes de plus en plus communs dans les débats politiques et publics. S’ils sont parfois utilisés sans distinction précises pour évoquer des solutions de déplacement alternatives à la voiture individuelle, il est important de rappeler l’histoire de ces différents mots, leur signification afin de mieux saisir les enjeux actuels de nos modes de déplacement.

Vers un système de déplacement plus durable

En Allemagne, Konrad Otto-Zimmermann invente en 1986 le terme d’Umweltverbund, soit en français « Alliance environnementale »Cette nouvelle dénomination a été inventée pour qualifier l’ensemble des modes de déplacement à développer, pour proposer une planification qui permettrait de réduire l’usage de la voiture (Papon 2012). En créant cette catégorie, regroupant à la fois les transports collectifs, la marche, le vélo mais aussi les usages partagés de l’automobile comme l’autopartage et le covoiturage, l’objectif est d’imaginer un nouveau système de mobilité multimodale. Il remplacerait ainsi un système monomodale orienté seulement autour de l’automobile. Un équivalent français de ce terme apparaît dans les années 1990 avec le mot « écomobilité » proposé par Lydia Bonanomi. Pour l’urbaniste et architecte suisse, il est nécessaire de travailler à « un transfert du trafic motorisé individuel vers l’écomobilité », terme qui regroupe selon elle « la marche, le vélo et les transports en commun » (Bonanomi 1996).

À la même époque, l’expression sustainable transportation ou en français « mobilité durable » apparait dans la littérature, en s’inspirant des termes de « développement durable » popularisé par la Rapport Brundtland de 1987. L’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) définit en 1996, la « mobilité durable » comme : « un mode de transport qui ne met pas en danger la santé publique et les écosystèmes. » Cette catégorisation s’intéresse à la fois aux effets sur la santé et sur l’environnement de nos déplacements, en caractérisant l’impact des différents modes, sans pour autant préciser les modes intégrés dans cette définition.

Modes doux pour une limite floue

Les termes « modes doux » font leur apparition à la même époque en France, après la publication de la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie (LAURE) de 1996. Elle affirme comme objectif « la diminution du trafic automobile, le développement des transports collectifs et des moyens de déplacement économes et les moins polluants, notamment l’usage de la bicyclette et de la marche à pied. » Ces 2 derniers moyens de déplacement sont alors caractérisés par leur absence d’impact négatif sur la qualité et la pollution de l’air. La formulation « modes doux » est popularisée par les documents de planification, dont les Plans des Déplacements Urbains (PDU) sont rendus obligatoire par cette nouvelle loi, pour les agglomérations de plus de 100 000 habitants.

Cette terminologie initiée par la LAURE possède des inconvénients. D’une part ces délimitations sont floues et d’autre part elle ne définit pas les modes en soi, mais en comparaison à des modes plus polluants. Ces 2 problématiques étant liées, la catégorisation des modes qualifiés comme doux, dépend du référentiel de nuisances utilisées : « on ne sait pas trop si cette expression se limite aux modes non motorisés, ou si elle englobe aussi d’autres modes alternatifs à la voiture. Souvent, elle est utilisée pour ne pas écrire le mot vélo. » (Papon 2012, 16)

Le vélo et la marche entrent en action

À partir des années 1990, les organismes internationaux s’intéressant à la santé publique constate une détérioration de l’état de santé des populations. On redécouvre alors des liens entre environnement, mode de vie et santé. L’inactivité physique et la sédentarité, produits par l’organisation des territoires et notamment de la dépendance aux modes propulsés sans énergie humaine, sont identifiés comme étant à l’origine des maladies dites « de société. »

En raison de ces différentes problématiques, la marche et le vélo hérite à la fin des années 2000 de la dénomination « modes actifs » ou « mobilités actives » pour signaler l’activité physique bénéfique pour l’usager que ces modes génèrent. Même si les bénéfices de ces modes de déplacement sont endogènes, l’apparition des dangers liés à nos modes de vie de plus en plus sédentaires permet de valoriser ces avantages jusqu’à présents ignorés. L’apparition des termes « modes actifs » est intrinsèquement liée aux problématiques sanitaires qui touchent actuellement les sociétés industrielles, avec entre autres une explosion de la prévalence de l’obésité, du diabète, des pathologies cardiovasculaires. En définissant la marche et le vélo par la formulation « modes actifs », on identifie ces modes pour leur spécificité, contrairement aux termes « modes doux » qui les définit en opposition à d’autres modes.

Certains débattent si les « modes actifs » recoupent les modes qui utilisent uniquement ou partiellement l’énergie musculaire. Cette dernière définition, qui permet d’intégrer les nouveaux véhicules à assistance comme les Vélos à Assistance Électrique (VAE) à la catégorie « modes actifs », a notamment été celle choisie par la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM). En effet, l’inscription de la terminologie de « mobilités actives » dans la LOM du 24 décembre 2019 clarifie sa définition : « Les mobilités actives, notamment la marche à pied et le vélo, sont l’ensemble des modes de déplacement pour lesquels la force motrice humaine est nécessaire, avec ou sans assistance motorisée. Elles contribuent à la mise en œuvre de l’objectif assigné à l’organisation des mobilités définie à l’article L. 1111-1 et à la préservation de la santé publique. » En plus des différents intérêts présentés plus haut qu’apporte cette terminologie, cette inscription dans la loi justifie une nouvelle fois la nécessité de privilégier « modes actifs » au profit de « modes doux. »

ADMA, une académie pour promouvoir les modes actifs

Le lancement d’un programme national de formation, d’étude et d’expertise sous la dénomination d’ « Académie des Mobilités Actives » renvoie à un choix sémantique qui traduit d’un consensus de présenter la marche et le vélo comme des leviers majeurs pour améliorer la santé et le cadre de vie. Le choix des termes n’est donc pas anodin et renvoie à la volonté de professionnels du champ des mobilités, de représentants de l’État et du monde associatif d’insister sur les rôles centraux que doivent prendre la marche et le vélo dans nos déplacements.

Pour le chercheur en mobilité Georges Amar, durant le 20ème siècle « ne pas marcher était un indice, sinon un objectif du « progrès » (Amar 2014, p. 8). Aujourd’hui nos sociétés aspirent à des « mobilités actives. »

Dans cet objectif, l’Académie des Mobilités Actives accompagne l’ensemble des acteurs de la mobilité pour faire évoluer nos territoires et nos habitudes de déplacement.

Auteur : Clément Dusong

Crédits photos : Adobe Stock et Unsplash

Bibliographie :

Amar, Georges. 2014. Ars mobilis. FYP Editions 

Bonanomi, Lydia. 1996. « Pour un urbanisme de proximité ». In Raisons et déraisons de la ville, approche du champ urbain, 360. Presses Polytechniques et Universitaires Romandes.

OCDE. 1996. « Environmental criteria for sustainable transport ».

Papon, Francis. 2012. « Le retour du vélo comme mode de déplacement – Tome 1 : Mémoire de synthèse ». Habilitation à diriger des recherches, Université Paris-Est

Recevez les dernières nouvelles sur les mobilités actives.